Galilée (1)

  A présent, quitte à envisager, comme la rubrique précédente en prépare l'instant, quitte à envisager la suppression pédagogique de tous les perchoirs et autres reposoirs terrestres, histoire de voir ce que ça fait de tomber sans fin dans le vide, voyons alors quel effet régressif cet anéantissement aurait sur les sens. A n'en pas douter, l'oiseau épuisé par un vol sans étape finirait, ou plutôt commencerait par tomber sans arrêt. Cet oiseau serait comme rattrapé par la loi que Galilée était allé vérifier du haut de sa fameuse tour penchée, la célèbre Tour de Pise.

L'expérience avait donc lieu dans cette ville doublement sujette à la pesanteur : d'abord parce que la force de gravité y a provoqué l'affaissement des fondations de ladite tour, qui depuis n'en finit pas d'obliquer, mais aussi gravité au travers de la force d'attraction que cet étrange édifice exerce sur les touristes. Et ce que font tous ces voyageurs, en fait il emboîtent le pas à Galilée, lequel on imagine en train de gravir, marche après marche, l'escalier doublement pentu d'une des plus célèbres tours du monde.

Du haut de ce monument incliné, le panorama a certes bien changé depuis que le premier homme (à avoir pensé que la terre était ronde) vint y vérifier l'une de ses plus spectaculaires intuitions.

Galilée et son assistant avaient dû porter jusqu'au sommet de la tour un pondéreux objet, lequel fût ensuite doué par la légende des formes et des apparences les plus diverses. Les on-dit vont encore bon train de nos jours, tantôt qu'il s'agissait d'une lourde bûche de bois, tantôt d'un boulet emprunté au fut de son canon... Toujours est-il que cet objet de poids devra tomber du haut de la tour, et mettre un certain temps pour atteindre le sol.

Si l'expérience de Galilée s'était limitée au projet de cette chute de haut en bas, la rigueur scientifique aurait consisté à veiller à ce qu'aucun passant ne croisât la trajectoire du boulet. Mais une fois cette précaution prise de n'assommer personne, il y a lieu de se demander à quel usage le projectile aurait pu être destiné, une fois savamment détourné de sa vocation guerrière. 


                                                                                     Rubrique 2, texte 1