Bourgeois décalés

On peut trouver de tout et de partout dans la presse écrite, y compris "le courriel des lecteurs" qui en fait désormais partie intégrante, voire intégriste de temps à autres. Et la Nouvelle République ne fait pas exception à la règle, en ouvrant ses colonnes à des plumes bénévoles. Je me suis donc fait une joie de ne pas lire au pied de la lettre le beau courrier de Madame X, s'étant portée volontaire pour user de sa liberté d'expression en dernière page de cette Nouvelle République, dont il faut bien dire qu'elle n'est plus très récente au vu de son statut prestigieux. Mais étant donné que faire du neuf avec du vieux est chose quasi inéluctable, et que la querelle des Anciens et des Modernes rajeunit en permanence le témoin que se transmettent les générations, je ne ferai pas à Madame X  l'injure de lui demander son âge, tant qu'à m'interresser au sens un petit peu vieillot des mots dont elle souhaite dédramatiser le sens historique.

A la lire, il apparaît donc que Madame X éprouve beaucoup plus de respect pour les "bourgeois" que Jacques Brel. A son avis, tout est bon dans le bourgeois. Et plus il est grand, moins il lui déplaît. Alors quand Fadela Amara, évincée par la nouvelle équipe ministérielle, se venge en conséquence et qualifie François Fillon de "grand bourgeois de la Sarthe", Madame X réagit doctement  en précisant que le bourgeois, au sens premier du terme, désigne en toute neutralité la personne qui s'est enrichie par son seul travail, lequel lui a permis dès le Moyen Age d'accéder dans le bourg ou la bourgade à un poste éminent. A n'en pas douter, le sens étymologique du substantif ou de l'adjectif "bourgeois" n'a aucune connotation péjorative. Le bourgeois est simplement devenu ce qu'il est grâce au savoir faire dont il a fait preuve, et dans un premier temps, le rappel linguistique de Madame X ne peut être pris en défaut. Mais là où ça se gâte, dès lors que mon opinion diverge du sien,c'est quand Madame X omet de préciser que dans les textes, le Droit Féodal intervenait pour s'opposer, non pas au bourgeois pris isolément, mais à ce que la bourgeoisie dans son ensemble représentait de l'autoritarisme de sa classe sociale. Un autoritarisme envahissant, autant qu'une volonté d'indépendance vis à vis de ce Droit Féodal qui menaçait davantage les descendants arbitraires que les ascendants méritants de cette classe sociale.

Le sens étymologique d'un mot n'est pas grand chose sans le sens critique susceptible de s'y opposer. En l'occurence, quand le Droit Féodal incitait à la remise en cause de l'autodétermination de la bourgeoisie, il dénonçait l'excroissance de certains héritages trop proéminents, et sommait leurs légataires de les restituer en partie, dans un souci évident d'égalitarisme. Autrement dit, une des lois fondamentales contenue dans le Droit Féodal statuait sur un embourgeoisement limité à trois générations consécutives, ceci afin d'universaliser le titre de bourgeois et la possibilité de l'acquérir sans aucun privilège ni antécédent.

Il apparaît que si le titre de bourgeois autorise toute les libertés d'interprétation, la notion de "bourgeois de père en fils et de fils en aiguille" pique au vif, et la connotation péjorative n'y est pas étrangère. Bourgeois est un mot comme un autre, Madame X. Bien qu'entre son sens étymologique et sa modernité, l'ellipse de son évolution n'élude pas le risque de sa déviance. C'est comme pour le "cynisme" ou le "scepticisme", deux tendances philosophiques qui font la paire, parmi celles dont on a fini par uniquement assimiler les libertés de leurs contraintes. En effet, si le cynique de l'Antiquité cherchait à envisager le monde sans obéir aux illusions d'ordre moral, si l'ancien sceptique s'imposait le doute loin de toute vérité universelle,  force est d'admettre que le cynique actuel est aussi dégueulasse qu'une fosse impropre à l'usage du sens figuré.